Critique de série : The Boys (saisons 1 à 3)
Cet article a été précédemment publié sur mon ancien site. Je le remets ici pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu.
Est-ce que je cèderais à la facilité, moi ? Après avoir regardé la saison 3 de The Boys histoire d’avancer un peu ma « pile en cours« , je me suis souvenu que j’avais écrit, il y a quelques années, une critique des premières saisons pour un cours que j’avais. Alors que je cherchais l’inspiration pour mon « Ah, l’écran », je suis allée la relire et il se trouve qu’elle résume toujours aussi bien ma pensée au sujet de cette série. Alors, ce n’est pas que je cède à la facilité, mais je trouvais bête de repartir à zéro alors que cette critique existe déjà et de la laisser moisir dans mes vieux papiers sous prétexte qu’elle a déjà été l’objet d’une note. En plus, comme elle était notée, elle est probablement bien plus complète que ce que j’aurais pu écrire sans ce genre de pression. Alors, optimisons, mes amis, optimisons !
Les Super-Héros ne sont pas aussi super qu’on peut le croire. Cette idée résume assez bien la série The Boys, réalisée par Eric Kripke. Dans cette uchronie, les super-héros, des personnages dotés de facultés surpuissantes, sont mondialement célèbres et travaillent pour la société Vought, une société qui commercialise la protection des Supers et en fait des produits marketing. Mais l’action des Super produit de nombreux dommages collatéraux dans son sillage et un groupe d’hommes qui ont tout perdu à cause d’eux, The Boys, décide de s’attaquer à Vought et au groupe des Sept, les plus puissants d’entre eux, et de mettre en lumière la corruption qui les gangrène. Plus qu’une simple parodie des séries de comics de Marvel et DC Comics, plus qu’une série à l’humour absurde, porté sur la provocation et l’autodérision, plus qu’un divertissement plein d’action et de rebondissement, The Boys engage une vraie réflexion, subtile et limpide, sur de nombreux travers de la société actuelle.
Le scénario est en effet prétexte à une réflexion plus globale et souvent cynique sur différents aspects du monde, qu’il s’agisse du sexisme, de l’industrie pharmacologique toute puissante, du racisme ou encore des sectes. Le tout premier épisode de la série donne le ton : nouvelle venue parmi les Sept et persuadée d’avoir été engagée pour sauver le monde, Stella sera agressée sexuellement par l’un d’entre eux. L’ambiance est posée : personne ne sera épargné, ni les personnages – quelle que soit leur puissance – ni le spectateur, auquel on impose des scènes parfois choquantes, mais nécessaires. Nécessaires parce que, pour le faire réagir, The Boys a pris le parti d’être très cru, de montrer le sang d’une façon un peu irréaliste, qui fera penser aux procédés d’un Tarantino, de ne pas cacher les scènes de sexe et de se montrer aussi glauque que nécessaire dans son univers pour montrer tout ce qui est malsain dans le nôtre. A une époque comme la nôtre, ou bien souvent la bien-pensance a raison du réalisme – il n’y a qu’à voir le traitement réservé aux tétons féminins sur les réseaux sociaux – cette série apparaît comme extrêmement libérée et sans complexes, surtout lorsqu’on la compare aux autres séries de super-héros qui se veulent plus sérieuses et qui paraissent très fades à côté. Pourtant, The Boys n’a pas la prétention de se prendre au sérieux, et utilise le ridicule et l’auto-dérision pour contrebalancer ses scènes parfois trop gores. Tel, par exemple, ce personnage qui explosera littéralement en pleine rue, fauchée par un Super, et dont seules les mains resteront intactes, tenues par son fiancé. Le scénario parvient ainsi à nous maintenir en haleine tout au long des deux saisons de la série, à rester difficile à prévoir et à nous surprendre presque en permanence, ce qui doit beaucoup à la finesse d’écriture de ses personnages.
En effet, la série doit beaucoup à ses – très nombreux – personnages. Tous ont une raison d’agir comme ils le font, aucun ne tombe dans le manichéisme un peu facile qui est souvent l’apanage des séries de super-héros et, au long des deux saisons, on aura le temps de s’attacher à eux et de les voir évoluer sans qu’aucun d’entre eux ne se trouve délaissé ou n’ait l’air plat. Leur histoire se révèle petit à petit, au cours des dialogues. Tous ces points donnent d’autant plus d’impact aux difficultés qu’ils rencontrent. Les acteurs, tous excellents, particulièrement Karl Urban qui joue le leader de The Boys, ont parfaitement saisi l’essence de leurs personnages. Preuve de la réussite de cet aspect, le spectateur, pris entre deux feux, éprouvera parfois de la compassion pour certains méchants de l’histoire, réprouvera parfois les actions de certains gentils, ce qui le pousse à se questionner plus profondément sur la morale et sur les travers de la société dont nous avons déjà parlé.
Au-delà de ça, on ne peut s’empêcher de questionner à travers cette production ce qui fait vraiment une bonne série. En effet, The Boys utilise certains artifices présent dans des films de série B à petit budget : effets spéciaux un peu ratés, blagues parfois lourdes, scénario qui peut avoir l’air un peu ridicule et facile au départ… Aucune prétention à réaliser un Grand Film, et pourtant… Et pourtant, si au départ on a une légère hésitation avant de la lancer, en se disant que ce n’est qu’une série pour poser son cerveau sur le côté, comme il existe tant ; par la suite, on ne peut plus questionner sa légitimité et il nous permet de réellement réfléchir sur le monde sans jamais avoir l’impression de le faire. Son absence totale de prétention apparente cache une profondeur telle qu’elle interroge même notre rapport à l’art. Est-il vraiment nécessaire de faire de grandes phrases et de nous tirer des larmes pour réussir à faire passer un message ? La culture « légitime » a-t-elle vraiment l’apanage de l’art ? The Boys répondrait probablement « rien à foutre » avant de faire exploser un personnage d’une manière particulièrement sanglante et irréaliste. La série The Boys apparaît ainsi comme un miroir déformant, modifiant nos perceptions de la réalité et accentuant ses défauts pour nous forcer à les regarder en face.