Vous avez toujours trouvé le transhumanisme cool ? Vous pensez qu’il s’accompagnerait d’une nette amélioration de notre quotidien, vu que c’est le but après tout (à quoi bon se faire augmenter si ce n’est pas pour faire de nous des humains 2.0) ? Moi aussi mais… La série de jeu-vidéo Deus Ex a quelques arguments pour nous faire considérer la question sous un autre angle. Développée par Eidos Montréal et édités par Square Enix, cette série de jeu-vidéos comprenant cinq épisodes (dont les deux premiers ont été développés par un autre studio) aborde justement les thématiques du transhumanisme, dans un monde dystopique. Je n’ai joué qu’à Mankind Divided, le dernier épisode de cette série, sorti en 2016, je n’aborderai donc que le point de vue présenté dans cet opus, ne connaissant pas les autres.
La connaissance des anciens jeux n’est pas un prérequis pour la compréhension de l’histoire, même si de nombreux éléments y feront référence et que notre héros, Adam Jensen, a déjà un lourd passé venant de ces anciens jeux, mais le jeu nous propose en début de partie de visionner une vidéo récapitulant les faits passés pour comprendre ce qu’il s’est passé.
Un gameplay à conséquences
Deus Ex Mankind Divided est un jeu d’action infiltration ressemblant fort, dans l’esprit, à un Splinter Cell. Nous aurons donc des missions principales à mener dans des zones définies d’objectif dans lesquelles le déplacement est libre, avec de nombreuses possibilités de chemins à emprunter et différentes manières d’accomplir les missions, qui seront souvent agrémentées d’au moins un objectif secondaire. L’approche aura un rôle capital dans le dénouement de la mission et il sera possible de réaliser celle-ci en évitant de se faire voir ou bien en fonçant dans le tas. Mais la discrétion sera souvent récompensée, de même que l’exploration et les passages par des chemins détournés, et elle rendra souvent les choses plus simples car notre personnage n’est décidément pas fait pour résister aux dégâts à moins d’investir des compétences dans ce sens. Quand aux objectifs secondaires, ils ne sont pas juste un moyen d’obtenir de l’expérience supplémentaire mais ont un réel impact sur la suite de l’histoire, avec par exemple des personnages qui seront présents ou absents selon la réalisation de ces objectifs ou encore des options de dialogues différentes. Le jeu – et c’est quelque chose que je n’ai jamais vu ailleurs – fait même le pari de nous forcer à un moment à faire un choix entre deux missions principales qui s’annulent l’une l’autre, le seul moyen de pouvoir faire les deux étant de créer une nouvelle partie et de faire un choix différent.
Pourtant si certains éléments du scénario sont bien trouvés et proposent une véritable réflexion sur le transhumanisme, celle-ci s’incarne dans l’univers du jeu et dans les quêtes secondaires bien plus que dans les quêtes principales. Dans Deus Ex Mankind Divided, nous incarnons en effet un agent double – à la fois membre d’une section spéciale d’Interpol, la Task Force 29, et œuvrant au sein du collectif Mastodonte, qui se bat contre la corruption et les Illuminati ayant infiltré l’ordre mondial. On arrive d’ailleurs à comprendre que si Adam Jensen a rejoint la Task Force 29, c’est en grande partie pour s’assurer que le commandant de la section n’est pas à la solde des Illuminati. Et, disons-le tout de suite, moi, les histoires d’Illuminati, ça ne m’intéresse pas. Trop vu, trop fait et avec une originalité qui frôle le niveau de la mer. Heureusement, cette intrigue qui aurait pu me faire très vite décrocher du jeu est couplée avec une autre intrigue principale qui, elle, ne manque pas de sel.
Un monde coupé en deux
Dans l’univers de Deus Ex Mankind Divided, les citoyens peuvent se faire augmenter pour améliorer leur corps ou leur mental à différents niveaux – c’est d’ailleurs une excellente justification pour que notre héros dispose d’un arbre de compétences dans lesquelles il pourra choisir pour une approche plus discrète ou plus violente. Cependant, tous n’ont pas choisi ces augmentations : dans le cas d’Adam Jensen, elles lui ont été imposées après qu’il ait été presque tué ; et on découvre au fil de nos dialogues qu’un certains nombre d’employés de grandes entreprises ou de soldats ont été forcés d’y recourir par leur hiérarchie pour être plus efficaces. Ce qui pose déjà une question importante, celle du choix de se faire augmenter ou non dans une société capitaliste et sur un marché ultraconcurrentiel.
Pire encore, quelques années avant le moment où se déroule cette histoire, un « Incident » a eu lieu : toute la population augmentée de la planète a eu en même temps un accès de rage meurtrière la poussant à agresser la population non-augmentée. Depuis, il règne un climat de haine entre les rescapés de ces deux populations qui se lit dans les entrées de métro où sont soigneusement séparés les augmentés et les naturels, dans les contrôles aléatoires effectués dans les rues mais aussi dans la deuxième intrigue principale, liée aux Illuminatis mais qui aurait très bien pu s’en passer, à savoir des attaques terroristes attribuées aux augmentés qui poussent les dirigeants mondiaux, notamment en République Tchèque où se déroule l’histoire, à vouloir faire passer une « loi pour le retour à l’humain ». Notre personnage devra donc trouver l’origine réelle de ces attaques terroristes en partie pour éviter que le conflit entre naturels et augmentés ne s’envenime au point que cette loi puisse passer.
Mais, si l’intrigue principale fait déjà passer quelques idées essentielles, à travers ses choix narratifs autant que ses éléments de gameplay – ainsi, si on décide d’emprunter le métro en passant par la voie réservée aux non-augmentés, on sera aussitôt contrôlés par un policier – ce sont bien les missions secondaires qui installent toute l’ambiance et révèlent la vie quotidienne dans ce monde divisé. C’est aussi grâce à elles que l’on a l’impression d’être dans un véritable univers d’anticipation et pas simplement dans un jeu d’action-infiltration classique.
La ville de Prague jouera ainsi le rôle de hub central que l’on peut parcourir librement entre les missions principales et dans laquelle nous aurons accès, en les découvrant au hasard des rues ou en étant prévenu par nos alliés, à des quêtes secondaires qui nous inviteront à explorer la ville… mais surtout la société dans laquelle notre personnage baigne. Du comportement des policiers en cas de meurtre sur des augmentés à un trafic de drogue souterrain, la ville se révèle dans toute sa noirceur à travers ces quêtes. On pourra également hacker des ordinateurs afin de lire la correspondance personnelle des habitants et en apprendre un peu plus sur ce qu’il se passe dans cette ville et les relations abîmées au-delà du réparable entre les augmentés et les naturels.
Je regretterai quand même une durée de vie assez courte pour ce titre : même si les missions prennent du temps, elles sont assez peu nombreuses et peuvent laisser un goût d’inachevé, d’autant que ne pas avoir joué aux précédents opus nous prive quand même de certaines clés de compréhension, mais il illustre quand même bien certaines problématiques liées au transhumanisme et propose un portrait de société glaçant – une société dans lequel on pourrait reconnaitre la nôtre, à quelques menus détails près.