Ce n’est pas faute d’avoir annoncé que cette critique arrivait, et ce, depuis un certain temps. Sauf que j’ai regardé la série The Witcher il y a au moins dix mois et que, entre temps, j’avais oublié ce que j’avais vu… Le classique. Mais comme la saison 3 a été annoncée pour fin juin, il est temps pour moi de rattraper tout ça et de revoir les saisons 1 et 2 pour me remettre dans le bain. Aujourd’hui, on va donc enfin parler de la série The Witcher, créée par Lauren Schmidt-Hissrich et diffusée sur la plateforme Netflix.
Adapter des recueils de nouvelles en série, un pari risqué
Le problème avec la saga du Sorceleur, écrite par Andrzej Sapkowski, c’est que les premiers tomes de la saga sont écrits sous forme de recueil de nouvelles se déroulant à différentes périodes de la longue vie du sorceleur. Les tomes suivants, des romans, déroulent ensuite l’histoire qui sera au coeur de la saga, celle de Geralt et Ciri, son enfant-surprise. Cela peut paraître anodin, mais on peut difficilement dérouler une série à gros budget de la même façon qu’on écrit un recueil de nouvelles, de même qu’il est difficile de mélanger à l’écran des temporalités aussi différentes que celles des premières aventures de Géralt et de son histoire avec Ciri. Une facilité scénaristique aurait été de se concentrer uniquement sur les romans de l’enfant-surprise, en oubliant toutes ces histoires qui ont construit Geralt et Yennefer.
Je suis très heureuse que cette facilité-là n’ait pas été choisie, même si le choix qui a été fait oblige le spectateur à quelques sauts-périlleux mentaux. Les différentes temporalités sont en effet mélangées dans la saison 1 : on y suivra à la fois Yennefer dans sa jeunesse lors de son initiation à la magie à Aretuza, Geralt combattant divers monstres, s’impliquant dans le sauvetage du père de Ciri avant sa naissance (ce qui est à l’origine de son droit de surprise) ou encore la rencontre entre Geralt et Yennefer à cause d’un djinn, et le vœu produit par Geralt qui les liera tous deux à jamais. Il faut être particulièrement souple pour suivre ces temporalités sans trop se perdre, et encore j’ai la chance d’avoir déjà joué au jeu et lu une bonne partie des livres, toutes ces histoires ne me sont donc pas inconnues. J’ai de la peine pour le spectateur qui découvre tout cela et pour la migraine qui le guette.
Cela dit, ce choix audacieux porte ses fruits et surtout, il évite de perdre une partie du sens en retirant aux personnages leur histoire et leurs motivations pour se concentrer sur la partie principale. J’applaudis donc des deux mains les scénaristes qui se sont débrouillés avec ce sac de nœuds pour les intégrer à la saison 1 sans céder à la facilité des flashbacks à répétition.
Ton destin c’est de suivre ta destinée…
J’ai beau avoir beaucoup apprécié la série, certains tropes m’ont fait sourire jusqu’aux oreilles et je suis particulièrement consciente des défauts qui parcourent la série. Je parlais à l’instant d’éviter les facilités d’écriture : en voilà une. La question du destin est certes au centre des romans d’Andrzej Sapkowski, mais la série vous fera ingurgiter du destin et de la destinée jusqu’à vous donner envie de vomir. Je me demande si ça créerait un trou dans l’espace temps s’il n’y avait pas au moins un personnage prononçant l’un de ces mots toutes les 5 minutes au détour d’un dialogue. La plupart des dialogues sont plutôt bien écrits, mais cette question du destin, traitée ainsi, manque terriblement de subtilité et m’agace profondément.
De même, certains passages de la temporalité de Yennefer me paraissent incohérents et ne correspondent pas à l’idée que je me fais du personnage depuis que j’ai joué aux jeux et que j’ai lu les livres. Je confesse ici l’amour profond que j’ai pour ce personnage – qui ne s’est éveillé qu’avec les livres avant que je ne rejoue une seconde fois au jeu – mais qui ne s’est jamais démenti. Je pense que c’est sans conteste le personnage féminin le plus intéressant que j’aie croisé au détour de mes lectures de fantasy et, pour résumer ce que j’en pense, c’est très simple : je pourrais aller jusqu’aux enfers avec elle sans avoir peur d’autre chose que de ses piques et de ses sautes d’humeur. J’ai donc été ravie que la série fasse un passage par son initiation à Aretuza, j’ai trouvé ce moment particulièrement touchant et cela a renforcé mon attachement au personnage… jusqu’à ce que je me rende compte que les scénaristes faisaient n’importe quoi avec elle (selon l’idée que je me fais d’elle, du moins.) Par moments, elle est telle que je l’imagine, assurée, forte, colérique et impertinente ; et par moments elle parait faible, effacée, beaucoup trop altruiste pour ce personnage normalement égoïste. J’ai l’impression qu’ils ont voulu lisser son caractère et, dans certains épisodes, je ne la reconnais plus. Puis elle revient et repart encore, jusqu’à la saison 2 où le personnage semble définitivement débarrassé de tout ce qui faisait son sel dans les livres.
Même si j’ai tendance à beaucoup comparer les livres et leurs adaptations en films ou séries (au grand dam de mon copain qui ne lit pas et que ça agace), je ne suis pas une fanatique de la fidélité de l’adaptation, à partir du moment où celle-ci est bien faite dans le sens où elle apporte quelque chose à l’œuvre originale sans trahir l’idée de base. Dans le cas du Sorceleur, je n’ai de toute façon pas fini de lire la saga en romans, je pars donc du principe que je n’en sais pas suffisamment pour décider si la série Netflix est une trahison ou pas, mais en ce qui concerne Yennefer, c’est clairement le cas.
L’oeuvre vaut-elle le coup malgré ses maladresses ?
Le scénario n’est pas le seul à se planter en beauté à diverses reprises, entre incohérences manifestes, personnages supprimés, mal-travaillés ou mal-compris et mécompréhensions de l’univers dans lequel évolue le sorceleur. Si la série est clairement du genre à se laisser binge-watcher sans aucun problème, dosant à perfection le rythme de l’action et des dialogues avec des cliffhangers, la réalisation souffre aussi parfois de sérieux problèmes : la plupart du temps sans surprises, quand elle tente quelque chose de réellement original, c’est pour se planter en beauté. Ainsi, le passage dans la forêt de Brokilone, essentiel dans les livres, déclenchera probablement chez le spectateur – même s’il est comme moi, pas particulièrement cinéphile ou porté sur l’art de bien filmer – une hilarité absolue lorsqu’il se rendra compte que le soleil est systématiquement dans l’axe de la caméra, même lors des champs/contre-champs.
Il n’est clairement pas certain que les créateurs de la série connaissent bien l’univers du sorceleur, qu’ils aient lu et aimé les livres. Il n’est pas non plus certain qu’ils n’aient pas voulu surfer sur le succès commercial qu’a été le jeu The Witcher 3. Mais ça n’empêche pas que les séries ou films de fantasy corrects, avec un casting de bons acteurs, un budget suffisamment conséquent pour rester crédible, et qui ne prennent pas trop les spectateurs pour des gamins stupides, peuvent se compter sur les doigts d’une main. Sans compter que, comme je l’ai dit, les épisodes se regardent tous seuls et ne connaissent pas l’ennui. Ca vaut donc le coup de donner une chance à la série et j’ai réussi à m’attacher à elle malgré tous les défauts que j’ai souligné et tous ceux dont je n’ai pas parlé. Je rejoins donc les rangs de ceux qui attendront la saison 3 à venir fin juin.