Cet article est la suite des deux premiers épisodes de la série sur Ecrire un roman, respectivement L’idée et Le plan. Si vous ne les avez pas encore lus, je vous invite à les découvrir avant de vous attaquer à cet article. Sinon, ou si vous vous en fichez, eh bien c’est parti !

Qu’est-ce que le premier jet d’un roman ?

Comme pour à peu près tout ce qui touche à l’écriture, la définition de ce que sera un premier jet dépend de l’écrivain que vous avez en face de vous, ce qui n’aide pas forcément à s’y repérer. En ce qui me concerne, et je ne suis pas la seule dans ce cas-là, le premier jet correspond au texte brut, non travaillé, la première fois que l’on « jette » son roman sur la page. Pour d’autres, le premier jet sera infiniment plus précis et correspondra quasiment au texte final : la majorité d’entre eux effectuent en fait les étapes de premier jet et de relecture/réécriture alternativement, que ce soit chapitre par chapitre ou jour après jour. Il y a de tout : j’ai déjà cité la vidéo où Amélie Nothomb parle de sa manière de travailler, et où elle explique que le premier jet, elle le fait dans sa tête et que la première fois qu’elle commence à écrire elle écrit donc directement le texte final. Je ne crois pas avoir précisé que je serais absolument incapable de travailler de cette façon.

Donc, il y a à peu près de tout mais comme d’habitude, je parle de ce que je connais et donc je vais partir du principe que le premier jet, c’est le brouillon, le moment où l’idée dans sa forme brute commence à s’incarner sur le papier et à prendre une forme qui sera amenée à évoluer par la suite un certain nombre de fois.

Image d'illustration de l'article sur le premier jet de l'écriture d'un roman

La manière d’écrire son premier jet est intimement liée à la façon dont on travaille… Et à notre façon de ressentir les choses. En ce qui me concerne, relire la partie de texte que j’ai écrite la veille me terrifie et me bloque totalement. Je vois toutes les mauvaises tournures de phrases, toutes les incohérences et tout ce qu’il faudrait changer, rajouter, peaufiner, ce qui me conduit à abandonner. J’ai un paquet de débuts de romans abandonnés dans un dossier sur mon ordinateur qui peuvent en témoigner. Donc, j’écris mon premier jet d’une seule traite, sans jamais me relire – ça viendra dans un second temps – excepté la dernière phrase écrite la veille pour me souvenir précisément d’où j’en suis, et avec interdiction d’y toucher. Je ne reviendrai pas en arrière avant d’avoir écrit la dernière phrase de mon roman.

Le premier jet, pour moi, c’est donc une grande fuite en avant, avec l’interdiction de se reposer, de réfléchir, mis à part quelques allers-retours vers mon plan.

Comment écrire le premier jet…

…Et si possible sans avoir envie de tout brûler et de se reconvertir dans l’élevage de chèvres en Ardèche.

Il est temps d’énoncer une vérité toute simple : écrire, pour beaucoup des gens, c’est très difficile. Il y a des moments très gratifiants et de plaisir pur et absolu, mais il y a de nombreux autres moments où vous allez être dégoûtés, avoir envie de tout laisser tomber, où vous allez remettre en question tout ce que vous avez fait jusqu’à présent ainsi que votre estime de vous-même. Ca m’arrive très régulièrement, c’est la raison pour laquelle j’essaie de ne pas me relire tant que je n’ai pas posé mon premier jet sur papier. Je suppose qu’il faut faire avec. La légende raconte que certains écrivains n’auraient pas ces phases de remise en question et ne verraient l’écriture que comme un long fleuve tranquille, mais je ne peux pas vous promettre que ce sera votre cas. C’est un cliché d’affirmer que l’art se crée uniquement dans la douleur et qu’il faut être torturé pour être un bon artiste, mais c’en est un aussi de penser que les artistes sont les plus heureux des hommes et des femmes. Et si, pour moi, il existe une seule phase de calvaire absolu, c’est bien celle du premier jet. J’imagine que je ne suis pas un cas isolé.

Cela étant dit, comment fait-on pour que ça se passe au mieux ? D’abord, si vous avez suivi les étapes préparatoires, vous avez au moins en tête le déroulement général de l’histoire et vous savez ce vers quoi elle tend, ce qui peut éviter pas mal de sueur. Admettons aussi le fait que le premier jet est un brouillon, voire même un simple prolongement de l’idée : le premier jet sert à poser cette idée de base et à lui donner une forme cohérente qui aura un début, un milieu, une fin, tout cela relié par des péripéties, actions et descriptions. Si on considère ça sous cet angle, ça enlève un peu de pression. Personne ne s’attend à ce que votre idée soit parfaite dès le départ, n’est-ce-pas ? Alors on répète tous après moi (et moi aussi je répète pour me le faire rentrer dans le crâne) :

Une erreur dans un premier jet n’est pas une erreur, c’est une idée qui n’a pas fini d’être peaufinée.

Stephen King (qui, niveau romans, n’en est pas à son coup d’essai et qui, le monde l’en remercie, n’a jamais abandonné l’écriture pour se reconvertir dans l’élevage de chèvres) recommande de toujours écrire la porte fermée, métaphore pour « Si vous tenez à votre santé mentale, ne montrez surtout pas votre livre à qui que ce soit avant d’avoir au moins terminé le premier jet. » Même si cette personne partage votre vie et qu’elle a les meilleures intentions du monde. Il doit exister des écrivains pour qui ça ne pose pas de problèmes de faire ça, mais personnellement je préfère suivre ces recommandations. Il m’arrive de discuter du thème de mon roman pendant que je suis en train de l’écrire ou de certains sujets abordés mais jamais je ne montrerais les pages en cours d’écriture avant d’avoir fini le premier jet, ni d’ailleurs avant d’avoir fait la première relecture. Ce serait l’équivalent de montrer mon journal intime à quelqu’un ou de lui prêter ma brosse à dents, voire même de lui proposer de farfouiller dans mon cerveau… J’espère que vous aurez saisi l’idée avant que je ne m’aventure dans des métaphores encore plus vaseuses. Certains peuvent peut-être survivre à cette intrusion dans leur vie personnelle sans se sentir salis, trahis et jugés, mais pas moi. Pour que mon premier jet ait une chance d’exister jusqu’à la fin et aux étapes suivantes de l’écriture, il doit rester entre moi et mon écran.

Réunir les meilleures conditions pour écrire

J’écris avec la ferme intention d’être publiée depuis plus de dix ans et, en dix ans, ma vie a pas mal changé. Pendant ces dix ans, j’ai écrit sur les bancs de la fac, sur des feuilles volantes, j’ai écrit sur un ordinateur de bureau et sur un cahier de brouillon pendant mes heures de travail (ne jugez pas, il s’agissait d’un job qui consistait majoritairement à attendre et j’ai horreur de ne rien faire), j’ai écrit debout, sur l’application notes de mon smartphone pendant des trajets en bus, affalée dans mon lit avec l’ordinateur posé à côté de moi ou bien (ce que je suis en train de faire), assise sur un canapé. J’ai même essayé d’écrire à l’oral, avec un enregistreur – je déconseille. J’essaie de faire passer l’idée que, quand on a vraiment envie d’écrire, il n’y a pas forcément de conditions pour le faire et que tout dépend de la vie qu’on a. Certes, il y a des stratégies plus efficaces que d’autres, mais une nouvelle fois démontons joyeusement le cliché de l’écrivain installé dans son grand fauteuil de cuir avec un thé à portée de main : c’est certes sympa de le faire, mais tout le monde n’a pas toujours le temps de donner à ses séances d’écriture des allures de rituel. L’important, c’est d’écrire, non ?

Je concède quand même que, depuis que j’ai plus de temps disponible, je préfère essayer de trouver les meilleures conditions pour écrire et que, effectivement, c’est toujours mieux d’être installée à un bureau, avec un ordinateur et un bon siège et si possible, une boisson à portée de main. Mais c’est une affaire de confort, et le mien ne sera pas forcément le votre. Il y en a qui préfèrent aller écrire dans les bibliothèques pour se couper des distractions, ou bien au contraire dans des cafés pour avoir un bruit de fond. L’important, c’est de pouvoir se concentrer alors pourquoi pas…

Personnellement, j’ai tendance à écrire avec de la musique. Je la choisis soit instrumentale, soit dans une langue que je ne comprends pas pour éviter à mon attention d’être détournée par l’envie de chanter (je ne prétends pas que je ne tape pas mon meilleur yaourt de temps en temps avant de me rendre compte de mon erreur). J’essaie d’adapter la musique à l’ambiance que j’aimerais faire ressortir de mes pages et je fais partie des tarés qui ont une playlist pour chaque type de situation sur Spotify… dites-moi que je ne suis pas la seule ! Pour certains, il faudra un silence absolu – moi, ça me fait stresser, si je n’ai pas de musique, j’ouvre la fenêtre et je laisse les bruits extérieurs entrer… j’ai la chance d’habiter dans une rue peu passante où j’entends principalement les oiseaux quand j’ouvre la fenêtre.

Quand à écrire le matin, l’après-midi ou le soir, ça dépend de votre manière de fonctionner… mais, soyons honnêtes, ça dépend aussi du temps que vous avez. Je suis indépendante depuis peu de temps, j’ai donc le loisir d’organiser mes journées comme je le veux et donc je donne mon temps en priorité à l’écriture, mais pour ma part je n’ai pas de préférence horaire pour écrire. Pendant un moment, quand je travaillais avec des horaires de bureau, il pouvait m’arriver d’écrire à la pause de midi, le matin avant de partir ou le soir en rentrant, voire tard dans la nuit quand je faisais une insomnie, l’important ayant toujours été pour moi d’écrire tous les jours, quel que soit le contexte. Et oui, je fais partie de ceux qui vous diront qu’il faut écrire tous les jours, même si vous n’êtes pas inspiré. Et je fais aussi partie de ceux qui vous diront que si vous attendez d’avoir à la fois le temps d’écrire et l’inspiration pour le faire, vous risquez de mettre un sacré paquet de temps pour finir ce premier jet. Je parle en connaissance de cause, quand j’étais plus petite, je passais mon temps à attendre que les étoiles s’alignent pour écrire, avant de comprendre que, comme pour tout dans la vie, les étoiles ne sont jamais suffisamment alignées. Alors il faut tricher, trouver le temps, faire des compromis avec autre chose. Si c’est une priorité, un besoin vital, comme c’est le cas pour moi, alors les conditions sont déjà idéales.

Quand à la quantité à écrire chaque jour, pour ma part, je ne me fixe pas un nombre de mots minimum à atteindre, mais plutôt une « scène » à écrire. Ça m’aide beaucoup de travailler sur une structure définie avec un début, un milieu et une fin, même si ça implique que j’écrive certains jours plus que d’autres. Mais quand on a des obligations liées au travail et/ou à la vie familiale, ça peut être compliqué de fonctionner comme ça et peut-être qu’un nombre de mots minimum sera plus adéquat. Dans ce cas, prenez un jour sans inspiration, comptez le nombre de mots que vous arrivez à écrire et considérez ça comme votre minimum. Si je compte en mots, pendant les jours « sans », j’oscille entre 500 et 1000 mots donc mon minimum serait à 800 environ parce que je me pousse souvent un peu. Notons que je ne fonctionne pas du tout comme ça quand j’écris des nouvelles (j’écrirai peut-être un ou plusieurs épisodes sur l’écriture de nouvelles une fois la série écrire un roman terminée).

Sachant qu’un roman fait entre 50 000 et 100 000 mots, vous pouvez ensuite vous amuser à faire le calcul du temps approximatif que prendra un premier jet, vous rendre compte que c’est un travail de longue haleine et vous préparer mentalement à tout ce temps passé devant votre bureau ou ailleurs sachant que ce ne sera pas fini après le premier jet.

Pour aller plus loin…

Aujourd’hui je vous propose d’aller voir la vidéo de Christelle Lebailly (j’avais déjà mentionné sa chaîne) sur le terrifiant syndrome du milieu qui peut nous frapper pendant qu’on écrit notre premier jet et les façons de s’en sortir s’il vous frappe. Ça se guérit… heureusement !

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