Je poursuis la quête de conseils commencée depuis quelques mois avec les livres sur l’écriture et le métier d’écrivain écrits par des auteurs reconnus et que j’admire. Ce mois-ci, après l’analyse d’Ecriture, de Stephen King, et de l’Autoportrait d’un auteur en coureur de fond d’Haruki Murakami, c’est à Christelle Dabos que je m’attaque, avec son livre au titre superbe : Et l’imagination prend feu.
Que s'attendre à trouver dans cette œuvre ?
Si je devais situer cette œuvre de Christelle Dabos sur une échelle allant de la biographie au livre de conseils d’écriture, je pense que je le mettrais entre celui de King – qui penche plutôt côté conseils – et celui de Murakami – plutôt côté biographie ou journal. D’ailleurs je prendrais peut-être le temps en fin d’année de placer sur ce genre d’échelle tous les livres que j’aurais lu dans ce genre là et de faire un article global dessus.
Dans Et l’imagination prend feu, Christelle Dabos revient avec beaucoup d’humour sur son parcours d’écrivain et la naissance de sa saga de fantasy La Passe-miroir, tout en parlant de façon très personnelle de sa façon d’écrire et de ses méthodes. Beaucoup moins prolifique en termes de production de romans que les deux autres auteurs mais aussi avec un parcours différent, plus actuel car marqué par internet et les communautés en ligne, il est plus facile en tant que jeune auteur de se reconnaître – peut-être pas dans son succès mais en tout cas dans sa façon d’appréhender l’écriture et le monde – ce qui en fait selon moi une lecture particulièrement intéressante et qui apporte beaucoup.
Christelle Dabos parle avec beaucoup de franchise de son parcours et cet ouvrage est aussi une vraie pépite de motivation et d’humour (oui, j’ai rigolé en le lisant, à plusieurs reprises). Et en plus, l’édition est illustrée – extraits de brouillons, fan-arts, caricatures, etc. – c’est un vrai plaisir à lire. On y trouvera des conseils beaucoup plus personnels et moins généraux que dans les œuvres dont j’ai parlé mais qui peuvent aussi toujours être utiles pour s’inspirer, se motiver, se lancer.
Ce que j'ai envie d'en retirer pour ma propre pratique
Comme pour les deux autres ouvrages, j’ai tiré de ce livre, parmi un grand nombre d’excellents conseils, trois passages dont j’ai particulièrement envie de me souvenir et de m’inspirer pour ma propre pratique.
S'oublier et se nourrir
Christelle Dabos évoque l’idée que, parfois, les blocages dans l’écriture naissent du fait que nos propres préoccupations, notre propre vie prend trop de place dans notre tête pour permettre à celle qu’on est en train d’écrire de trouver sa place à elle. Jusqu’ici, ce n’est pas forcément très nouveau, on a je pense tous expérimenté le fait qu’à certains moments de nos vies la réalité prenne le pas sur l’écriture et qu’on se retrouve, en pleine séance d’écriture, à penser au rendez-vous à prendre chez le médecin, à ce dossier à terminer, à cette dispute qu’on rumine dans sa tête. Mais comme ce n’est pas un livre de développement personnel, mais d’écriture, elle ne vous parlera pas de terminer ces tâches annexes, plutôt de façons de pouvoir continuer à écrire quand même. D’où cette très belle idée, je trouve, que j’ai envie de garder pour mon compte : arriver à s’oublier pour laisser la place à l’histoire.
« Allez, il va falloir m’oublier un peu. Me dissoudre. […]
Dans quoi ?
Des œuvres inspirantes. Je lâche mon texte pour lire quelqu’un d’autre, quelqu’un dont les mots vont raviver les miens. »
Christelle Dabos, Et l’imagination prend feu, p.62
Stephen King parlait de l’importance de beaucoup lire pour pouvoir écrire, mais je crois que c’est la première à mettre à ce point en avant l’importance de se nourrir d’autres œuvres pour « raviver ses mots ». C’est quelque chose que j’ai expérimenté à plusieurs reprises et c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’ai commencé cette série d’analyse – entendre ou lire des écrivains parler d’écriture me donne envie d’écrire – tout comme lire un livre excellent, que j’aurais voulu écrire moi-même, ou comme assister à un concert me donne irrémédiablement envie de chanter. Les œuvres d’autres auteurs ne servent pas qu’à s’inspirer pour puiser de nouvelles idées, mais à créer des liens, à découvrir d’autres manières de penser et d’écrire. Mais c’est aussi une façon d’arriver à « s’oublier », de plonger dans un livre, une série ou un album musical, de totalement lâcher prise pour ensuite pouvoir revenir plus tard, plus sereinement à sa propre écriture.
A propos du contrat d'édition...
Car oui, écrire, trouver plein de méthodes pour le faire, pour trouver et garder l’inspiration, c’est bien, mais souvent quand on passe autant de temps à le pratiquer, on n’a pas envie de juste garder ses manuscrits pour soi et on souhaite passer à l’étape supérieure, à savoir être lu. Le contrat d’édition, le sésame ultime dont rêve tout jeune écrivain souhaitant être publié. Ne l’ayant pas encore été pour un roman, j’ai toujours cette angoisse quand j’envoie mon manuscrit en maison d’édition, cette envie de presque m’excuser de déranger… Après tout, il y a tellement d’enjeu. Et puis il y a cette phrase de Christelle Dabos que j’ai envie de me marteler dans la tête pour mieux la retenir.
« Un contrat, ce n’est pas une fleur faite par un éditeur. C’est le début d’une collaboration. Une convergence d’intérêts. »
Christelle Dabos, Et l’imagination prend feu, p.112
On voit tellement l’édition comme le Saint Graal qu’on en oublie que sans écrivain, un éditeur ne peut pas faire son métier. Il a besoin d’auteurs pour avoir des livres à éditer. Donc, il ne vous fait pas une fleur en lisant votre manuscrit, mais il fait son travail – de même que, s’il vous propose un contrat d’édition, ce ne sera pas par pitié mais parce qu’il pense pouvoir défendre votre manuscrit et lui permettre de trouver son public. Mais sans manuscrit, pas de public, rien à défendre. L’édition est une collaboration (comme d’ailleurs l’est un contrat de travail). C’est une idée qui tombe sous le coup de la logique quand on y réfléchit cinq minutes, mais que j’ai besoin de garder en tête et donc de noter noir sur blanc. Merci, Christelle Dabos, de nous le rappeler en termes aussi simples.
La déception qui montre qu'on grandit en tant qu'écrivain
Ce moment, là, où on lit un livre et qu’on se frappe la tête devant telle incohérence, la fin de cette série qui nous déçoit tellement qu’on a envie d’écrire une critique plus salée que la mer Morte (n’est-ce-pas The 100), parce que décidément, on n’aurait pas fait comme ça… Christelle Dabos suggère que ces expériences sont celles qui aident notre imagination à se forger, à créer ses propres chemins. Elle suggère ce point capital pour elle (et je l’y rejoins) :
FAIRE L’EXPERIENCE DE LA FRUSTRATION
Les oeuvres qui n’empruntent pas la route que nous espérions, les personnages qui nous déçoivent, la dernière page et son goût de trop peu… ce sont toutes des invitations. Si une dissonance se fait en soi, c’est formidable, c’est à accueillir les bras ouverts, parce que ça signifie qu’on est en train de développer sa propre harmonie.
Christelle Dabos, Et l’imagination prend feu, p. 143
Je mentionnais plus haut ces livres qu’on lit en se disant « j’aurais tellement aimé l’écrire » : ç’en est presque le contraire. La frustration, c’est cette scène qu’on n’aurait pas du tout écrite comme ça, la réaction de ce personnage qui ne nous parle pas du tout, cette conclusion qui nous paraît totalement absurde… Et selon Christelle Dabos, ce serait le signe que notre propre sensibilité se développe, différente de celle de l’auteur B – peut-être que pour lui, ce passage était logique parce qu’il rentrait dans son propre imaginaire, mais pour nous, cela s’apparente à de la haute trahison. Arriver à identifier ce qui sonne faux pour nous, ce qu’on aurait voulu faire différemment, c’est aussi une façon de grandir en tant qu’écrivain.
Là encore, c’est quelque chose que j’ai déjà expérimenté, et assez jeune – peut-être même un des facteurs qui ont provoqué mon envie d’écrire à l’origine ; quand, à la fin du Livre des étoiles (de Erik L’Homme), j’ai eu droit à ma première insomnie, outrée par la conclusion de cette saga (je laisse à ceux qui l’ont lue le plaisir de deviner ce que j’ai bien pu y détester), et que ma mère m’avait proposé cette solution si simple : si la fin ne te plait pas, réécris-la. A l’époque, je ne disposais pas encore de tous les outils nécessaires pour bien écrire et, depuis, j’ai appris à écrire mes propres histoires et mes propres fins, mais aujourd’hui, quand quelque chose ne me plaît pas dans un roman ou dans un film, j’ai le réflexe de me demander ce que j’y changerais si c’était moi qui l’écrivais.
J’espère que ces articles de présentation d’œuvres sur l’écriture et d’analyse/développement de certains conseils vous plaisent – je m’amuse beaucoup à les faire et je lis et annote ces livres de toute façon, même si je n’écrivais pas ces articles cela me servirait mais autant faire d’une pierre deux coups. Si vous avez des ouvrages à me recommander, n’hésitez pas à me les proposer en commentaire ou sur Instagram. La prochaine fois (je tease un peu) on parlera d’un autre auteur français avec un livre beaucoup, beaucoup plus axé sur des conseils d’écriture que les précédents.