C’est un retour de « vacances » très relatif pour moi (puisqu’en réalité je n’ai fait de pause que pour déménager, et il est assez difficile de me remettre dans le bain pour écrire ce retour de lectures du mois, qui n’a d’ailleurs pas été très productif puisque je n’ai lu que quatre livres ce mois-ci – j’en ai par contre profité pour faire également des relectures dont je ne parlerais pas ici pour ne pas faire doublon… mais peut-être ferais-je un article sur l’intérêt que je trouve à relire des livres une fois prochaine. De belles découvertes malgré tout ce mois-ci, notamment une lecture en particulier qui m’a beaucoup marquée.
Derek Künsken, Les profondeurs de vénus
Et on commence justement par la lecture la plus marquante du mois, qui a déjà pas mal défrayé la chronique ces dernières semaines depuis sa parution, à la fois par la poésie de son approche, la profondeur des sujets abordés et la justesse de son ton : Les profondeurs de Vénus de Derek Künsken.
Alors que la conquête de Vénus a été délaissée par les plus grandes puissances mondiales, le Québec, lui, s’est emparé de cette planète insaisissable et y a envoyé ses premiers colons qui cherchent leur place dans ses nuages et survivent du peu de ressources qu’elle veut bien les laisser gagner au péril de leur vie et de l’aide des Banques toutes puissantes. Au milieu de tout cela, la famille d’Aquilon vit en marge et cherche à trouver la voie de l’indépendance.
Si Derek Künsken avait déjà écrit de la science-fiction à large échelle avec le cycle de l’évolution quantique qui frôlait la hard-science (et dont ma chronique du tome 2 peut être retrouvée dans mes lectures de juin) et dont on peut découvrir des échos (par exemple dans l’évolution quantique le français standard est dit « vénusien » et est adapté de l’accent québécois, ce qui placerait les deux ouvrages sur une même ligne chronologique) ici, il change d’échelle pour s’adresser à l’intime, pénétrer au coeur des foyers de ces colons vénusiens et de leurs peurs et espoirs les plus profonds, peur de ne pas avoir sa place sur une planète aussi inhospitalière, espoirs de malgré tout y trouver les ressources pour vivre en toute indépendance… la science-fiction devient dans ce livre un moyen de se confronter à une dynamique familiale complexe, la difficulté d’avoir un enfant en situation de handicap sur une planète où chaque paire de bras est nécessaire à la survie de la société, et la résilience nécessaire de la famille résignée à vivre en marge plutôt que de renoncer à ses valeurs.
Cela devient aussi un moyen de sublimer les combats des personnages – qu’il s’agisse d’Emile et de sa difficulté à accepter la situation de sa famille et à se situer lui-même par rapport à elle ou bien de Pascal, dont le cheminement personnel entre en résonnance avec sa compréhension de Vénus elle-même, une planète qui n’est pas à l’intérieur ce qu’elle semble être à l’extérieur. Ceux qui l’ont lu comprendront. Ceux qui ne l’ont pas lu fonceront découvrir cet ouvrage qui traite avec bienveillance et tolérance de thèmes importants.
Ce qui est certain, c’est qu’il faut désormais compter Derek Künsken parmi les auteurs de SF dont il faudra attendre avec impatience chaque sortie, car toutes les lourdeurs de son premier cycle sont ici envolées et qu’il semble avoir trouvé sa plume, son ton et sa voix, et que c’est une voix qu’il est agréable de lire.
Elle Cosimano, Les saisons de la tempête, Tome 2 : Les saisons du chaos
J’arrive ici sur la suite et la fin de la duologie des Saisons de la Tempête, série de romantasy Young Adult dont j’avais lu le premier tome malheureusement avant de commencer mes chroniques régulières sur ce site. Je ne résumerais pas le roman puisqu’il s’agit d’un tome 2 – pour éviter de spoiler ceux qui liraient ceci – mais plutôt le concept : les saisons sont dans ce roman personnifiées par des jeunes gens à qui l’on a offert la vie éternelle et des pouvoirs élémentaires, régis par le Temps, la Terre et la Destinée.
Alors j’ai du mal à trouver quoi dire de ce roman. Comme ce dont je me souvenais du premier tome, c’est une lecture, agréable, rapide, avec un univers cohérent et des personnages sympathiques, mais c’est un peu une lecture « allume feu » : ça se lit vite et bien, c’est même un véritable page-turner, mais une fois terminée, on l’oublie très rapidement, aussi bien ses défauts que ses qualités. C’est un roman qui selon moi n’a pas vraiment d’aspérités, qui se trouve là où il doit être et y fait ce qui doit être fait, mais qui n’a rien de marquant, ni en bien, ni en mal. Pourtant, je dois reconnaître que pendant que je le lisais j’étais vraiment à fond dans l’histoire, simplement, ce n’est pas une lecture qui s’imprime dans l’esprit. De là à le recommander… non, je pense qu’il y a des romans à lire qui vous laisseront une impression plus durable, mais si vous tombez dessus sans savoir quoi lire, alors pourquoi pas essayer ?
Haruki Murakami, L''étrange bibliothèque
Oui, je l’admets, c’est de la triche puisque cette lecture est une nouvelle et non pas un roman. Mais après avoir lu la biographie de Murakami (son Autoportrait d’un auteur en coureur de fond) j’ai eu envie de me frotter à d’autres textes de sa composition et donc, à cette nouvelle. Et pour la première fois depuis que j’ai commencé à chroniquer mes lectures – puisque c’est aussi la première fois que je tombe sur une édition illustrée – je tiens à souligner le superbe travail réalisé par Kat Menschick dont les illustrations de la nouvelle, dessins à la fois sombres et poétiques, se prêtent à merveille à l’ambiance d’inquiétante étrangeté proposée par Murakami dans son texte.
Cette nouvelle adopte le point de vue d’un enfant, dont le périple dans les tréfonds d’une bibliothèque l’entraînera loin sur les chemins de l’étrange. C’est une nouvelle difficile à appréhender, à la fois absurde et un peu horrifique (moi qui m’étais laissée abuser par le résumé en pensant que je n’aurais droit qu’à de l’absurde, j’en ai eu pour mon compte. Cela reste – et là est la maestria de Murakami – une oeuvre très poétique, à la fois belle et dérangeante, empreinte d’une nostalgie et d’une douceur qui confine au rêve, dont, longtemps après la fin, on continue à réfléchir aux implications et à ce que l’on vient réellement de lire. Les interprétations de ce qu’il s’est produit dans cette bibliothèque sont multiples.
Walter Tevis, L'homme tombé du ciel
Je termine ce mois-ci avec la lecture de l’Homme tombé du ciel, roman écrit pendant la guerre froide et marqué par les préoccupations d’une apocalypse nucléaire, et dont le propos semble étrangement actuel malgré les défauts habituels des vieilles oeuvres de science-fiction (mais si, vous savez de quoi je parle : le décalage technologique : les « technologies futures » imaginées dans les années 70 paraissent toujours risibles à un lecteur des années 2020 qui a vu les technologies évoluer).
Dans ce roman, un extraterrestre nommé Newton est envoyé sur Terre par sa civilisation déclinante pour s’intégrer à l’humanité et mettre en œuvre un projet destiné à sauver son espèce de l’extinction qui les menace… Et peut-être, dans le même temps, sauver l’humanité d’une autodestruction prédite à l’avance.
Ce qui fait la force de ce roman, ce sont ses personnages particulièrement humains – y compris l’extraterrestre dont la sensibilité et l’attachement progressif à l’espèce humaine en font un membre à part entière de notre espèce, mais aussi sa portée philosophique : l’espèce humaine doit-elle être sauvée, même contre sa volonté ? Le mérite-t-elle ? Et qu’est-ce que Newton sera prêt à sacrifier pour cela ?