Pour mon tout premier post parlant un peu de l’actualité de l’écriture, je n’ai peut-être pas choisi le plus accessible à ceux qui ne sont pas dans le milieu. Peut-être même que certains vont apprendre beaucoup de choses, parce que le statut d’artiste-auteur n’est vraiment pas quelque chose dont on parle beaucoup, c’est pourtant essentiel si on espère admettre un jour qu’il s’agit d’un vrai métier. Mais j’avais parlé de mettre en place des posts parlant de l’actualité littéraire et cette actualité là me touche beaucoup puisque j’aimerais un jour arriver à vivre de mon écriture, j’ai donc décidé d’ajouter une petite pierre à l’édifice en parlant de tout cela (et puis, soyons honnêtes : décortiquer tout ça pour l’expliquer au mieux me permet aussi d’un peu mieux le comprendre, parce que vous allez vite voir que ce n’est vraiment pas le plus simple).
Si vous n’avez pas le temps de tout lire, je vous invite au moins à aller à la fin de l’article pour trouver le lien de la pétition pour un statut européen des artistes-auteurs, actuellement au coeur des préoccupations, ainsi que celui vers le site de la nuit des artistes-auteurs, qui aura lieu lundi 25 mars et qui m’a motivée à écrire cet article pour essayer de mettre tout ça en avant à mon petit niveau !
Petit disclaimer : comme je ne suis pas encore « dans le milieu » il se peut que certains détails m’échappent ou que je les aie simplifiés sans le vouloir. J’ai essayé de renvoyer à chaque fois vers des articles d’organismes compétents en la matière et de me renseigner au mieux mais il se peut que certaines choses aient encore échappé à ma compréhension. Je trouve qu’il est important de parler de tout ça, mais plus important encore d’en parler correctement alors si vous vous apercevez que j’ai dit une ânerie, n’hésitez pas à me le signaler pour que je puisse corriger au besoin et étoffer mes sources si nécessaire !
c’est quoi un artiste-auteur ?
Je vous renvoie pour des explications très claires sur la fiche info « qu’est-ce qu’un artiste auteur » créée par la ligue des auteurs professionnels et sur la courte vidéo qui l’accompagne, qui est très bien faite.
En résumé il s’agit du régime social auxquels sont soumis les artistes qui font de la création artistique (auteurs, illustrateurs, scénaristes, compositeurs, etc.) et qui ne doit pas être confondu avec les artistes-interprètes (ceux qui interprètent ces créations) qui ont, eux, le statut assez connu d’intermittents du spectacle. Les artistes auteurs, eux, n’ont pas le droit à ce statut d’intermittent du spectacle. Ils sont considérés comme des travailleurs indépendants mais parfois assimilés à des salariés.
Un auteur, à partir du moment où il est édité et touche son premier euro sur sa création, sera donc rattaché à ce statut, de même un illustrateur qui vend une œuvre ou qui touche des droits d’auteurs pour sa contribution à, par exemple, un roman illustré. Je ne rentrerai pas dans les détails de l’affiliation au régime général de la sécurité sociale, ni aux différents organismes qui perçoivent les cotisations parce que c’est extrêmement compliqué mais si ça vous intéresse, je vous renvoie sur un document de la charte des auteurs et illustrateurs jeunesse qui explique tout ça dans le détail.
C’est quoi le problème ?
Pour bien le comprendre, il va falloir faire une mise en situation. Et comme c’est le côté que je connais le mieux (même si, n’ayant pas encore été éditée et rémunérée, je ne suis pas rattachée à ce statut) je vais prendre comme exemple un auteur.
Prenons donc Cunégonde, qui a écrit un thriller et espère en faire un best-seller. L’écriture de son livre lui a pris plusieurs mois : elle a passé un mois à le planifier, trois mois à faire son premier jet, trois autres à le réécrire, le faire bêta-lire et le corriger (notons que Cunégonde fait plutôt partie des auteurs « rapides », et elle a eu de la chance de ne ni bloquer, ni douter, beaucoup d’auteurs y passent des années). En termes d’heures, elle y a passé deux heures par jour pendant tout ce temps (vu qu’elle travaille à côté), soit cumulé sur 7 mois un total de 427h. Mais c’est pas fini. Parce que maintenant Cunégonde doit envoyer son manuscrit à des éditeurs et attendre leur réponse. Elle est très chanceuse : après six mois et une dizaine de « non », elle finit par recevoir le « oui » tant attendu d’une maison d’édition. Comme elle est vraiment super chanceuse, la maison en question lui propose un petit à-valoir de 1000€ (c’est à dire une avance sur ses droits d’auteurs qu’elle perçoit en une fois à la signature et qui sera rattrapé ensuite par les ventes de son livre) et des droits d’auteur à 10% (c’est énorme pour une primo-autrice, mais le dieu de la simplification des calculs en a décidé ainsi). Elle touche donc ses 1000€, super, et commence le travail éditorial pour une parution prévue un an plus tard. Notez qu’à la parution du roman, avec un personnage littéralement douché par la chance, on arrive déjà à 2 ans et un mois depuis qu’elle a commencé son roman. Elle n’a pas cessé de travailler dessus, elle n’a pas arrêté d’y penser, de donner de son temps pour communiquer dessus, faire les corrections éditoriales, donner son avis sur la couverture (même si, finalement, c’est la maison d’édition qui a eu le dernier mot) construire un réseau. A la sortie de son roman, elle prévoit plusieurs samedis de dédicaces et de salons histoire de vendre son roman, ce qui rajoute aux heures déjà passées dessus plusieurs journées complètes. Est-ce qu’il faut que je rappelle que pour son roman (pour lequel notre chère Cunégonde a désormais de très loin dépassé les 1000h de travail), elle a pour l’instant touché 1000€ et qu’elle ne touchera davantage que si le seuil des ventes permet à la maison d’édition de rattraper cet à-valoir ? Bien sûr elle aurait pu écrire un autre roman histoire d’enchaîner mais comme Cunégonde travaille en 39h à côté, elle aurait dû choisir entre continuer d’écrire ou faire la promotion de son roman. Enthousiaste, elle se décide même à abandonner son travail parce que tout ça lui prend bien trop de temps, et qu’elle y croit !
Sauf que paf, soudain la chance abandonne Cunégonde. Les critiques sont plutôt bonnes, mais le roman ne se vend pas. L’aventure s’arrête là pour elle : elle aura touché ses 1000€ d’à-valoir et ensuite que pouic. Pire : elle tombe dans les escaliers et se casse les deux bras. Elle a évidemment cotisé à la sécurité sociale puisque c’est à partir du premier euro touché, malheureusement elle n’a pas atteint le seuil de rémunération minimal (qui est d’un peu plus de 9000 euros par an, rappelons que notre chère Cunégonde se retrouve quant à elle avec le résultat faramineux d’un roman qui lui a rapporté 1€ brut par heure de travail) et donc, n’aura pas d’indemnités journalières de l’assurance maladie. Incapable d’écrire un nouveau roman avec ses deux bras dans le plâtre, lorsque sa maison d’édition décide de cesser l’exploitation du roman, elle n’a pas non plus droit au chômage (évidemment, elle n’est pas salariée !)
Bon, j’ai évidemment simplifié cet exemple à l’extrême et il est extrêmement caricatural, malheureusement ce n’est pas si éloigné de la réalité et les difficultés liées au statut d’artiste-auteur et à son absence de reconnaissance dépassent de très loin l’histoire du thriller de Cunégonde. Je vous renvoie une nouvelle fois sur un dossier réalisée par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse qui présente de nombreux témoignages d’artistes et aussi (heureusement !) des solutions.
Vous allez me dire « oui, mais c’est une passion, ça ne doit pas être considéré comme un métier, si Cunégonde n’avait pas lâché son travail elle n’aurait pas été dans la mouise » et je vais vous rappeler que mon exemple est sur la fourchette basse du temps de travail requis pour créer un roman. Que je n’ai même pas pris en compte la nécessité de se former (parce que non, tout le monde ne peut pas s’installer devant un bureau et s’improviser « le nouveau Stephen King »), il faut a minima lire, écrire, écrire, lire encore et écrire de nouveau. Que pour être inspiré, il faut être disponible mentalement et que donc un travail trop prenant ou une situation financière instable ne sont pas compatibles avec la création. Que notre amie Cunégonde a eu de la chance parce que son premier roman a été édité et qu’elle n’a donc pas travaillé sur ces 400 et quelques premières heures dans le vent (ou, pour les optimistes, pour améliorer sa plume). Et que là j’ai pris en exemple une primo-autrice qui n’aura droit à rien mais le document dont j’ai mis le lien et les témoignages des artistes qu’il contient révèle bien que, même pour ceux qui dépassent le seuil minimal fixé pour avoir droit à des prestations sociales, le statut reste précaire, mal reconnu et inefficace.
Mais pourquoi en parler maintenant ?
Fin 2023, un projet inédit a vu le jour, prévoyant la création d’un statut d’artiste-auteur au niveau européen. La commission européenne doit très bientôt statuer sur ce sujet qui permettrait la création d’un vrai statut, une vraie reconnaissance de ces métiers et une vraie protection sociale. En janvier, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et la Ligue des auteurs professionnels ont lancé une pétition (que je vous invite très fortement à lire et signer si ce n’est déjà fait) pour soutenir la mise en place de ce nouveau statut qui pourrait changer énormément de choses pour ce statut précaire. Il faut dire qu’en France on n’est pas très bien lotis et il y a de quoi se méfier un peu : fin 2022 la France avait été condamnée pour avoir mal appliqué une directive européenne visant à instaurer une rémunération proportionnelle et appropriée des auteurs ; en 2021 elle avait enterré le rapport Racine qui, lui aussi, faisait un état des lieux de la création artistique en France et proposait des voies pour instaurer un statut plus équitable des artistes-auteurs (particulièrement après la crise du Covid qui avait laissé le milieu exsangue).
Désormais, à travers le #payetonstatut, les artistes-auteurs dénoncent les conditions de travail qui leur sont imposées et profitent aussi de ce projet législatif qui devrait déboucher sur une directive contraignante pour les états membres de l’UE s’il était adopté pour mettre en lumière un statut encore très méconnu du grand public. Si vous voyez s’ouvrir des parapluies aux couleurs de l’Europe un peu partout (dont en dessins), c’est en soutien à ce mouvement, dont les fameux parapluies sont le symbole. J’ai essayé à mon tout petit niveau de participer au mouvement en créant une illustration (qui est en en-tête de cet article), mes dons en dessin (et en illustrations numériques, dans ce cas) étant encore balbutiants ce n’est pas fameux mais bon j’ai mis la main à la pâte (et puis ce n’est pas mon métier) !
Et si j’ai choisi de publier cet article ce week-end en particulier, c’est qu’une action est prévue pour ce lundi 25 mars dans plusieurs villes de France : la nuit des artistes-auteurs (je mets le lien vers le site de cette manifestation, qui référence les actions prévues un peu partout ainsi que plusieurs articles pour s’informer sur la situation). A noter que pour ceux qui, comme moi, vivent dans un trou paumé où rien ne se passe, il est aussi prévu que l’événement sera retransmis en ligne, accessible sur Youtube sur cette chaîne. Tout commence à partir de 19h, pour ma part je pense, donc, suivre tout ça en ligne.
J’ai beaucoup parlé dans cet article des syndicats majeurs côté auteurs, mais notez bien qu’ils ne sont pas les seuls à participer au mouvement, il y a aussi des syndicats de scénaristes, de compositeurs, de peintres, de photographes, de traducteurs, d’auteurs de jeux etc., tous concernés par ce statut.