Ce mois-ci, j’ai lu un peu moins que les deux mois précédents en terme de quantité de livres, mais il faut dire que j’ai lu des sacrés gros morceaux donc ça revient à peu près à la même quantité de temps de lecture et de nombre de pages. Je vais de nouveau séparer ces lectures en deux parties (dont la seconde sortira samedi prochain) pour plus de clarté et surtout pour séparer mes lectures « nouvelles » des relectures. Parce que ce mois-ci j’ai relu toute une saga que j’avais lu initialement quand j’étais adolescente et relu également un autre roman dont je parlerai la semaine prochaine, avec une petite approche thématique et un peu de sel (vous verrez ça…) En attendant, cette semaine, ce sont les nouvelles lectures !
Becky Chambers, Voyageurs, tome 2 : Libration
Evidemment, après un coup de coeur aussi énorme que celui que j’ai eu pour le tome 1 des Voyageurs, j’étais forcée d’enchaîner le plus rapidement possible avec le tome 2. Qui est aussi un coup de coeur, évidemment, bien que d’une façon légèrement différente que le premier.
Evidemment, je n’attendais que de réembarquer avec mon équipe favorite du vaisseau le Voyageur, malheureusement le tome 2 emprunte une autre voie et présente l’histoire de deux autres personnages, présents de façon un peu plus secondaire dans le tome 1, à savoir Poivre et Lovelace. Le récit va nous révéler leurs deux points de vue et leurs histoires, dont la trame se tisse et se rejoint de façon de plus en plus perceptible, entre Lovelace, une IA de vaisseau dorénavant transférée dans un corps synthétique et le passé de Poivre qui a dû conquérir de haute lutte son droit à l’humanité. Bien plus que le premier qui explorait principalement les différences et le vivre ensemble, Libration plonge dans l’intime, l’appropriation des corps qui ont été imposés à ces deux femmes et qu’elles doivent apprivoiser, apprendre à comprendre et à vivre avec malgré leurs limitations, et la question de l’adéquation entre corps et esprit.
Il existe sans doute un univers parallèle où cette histoire est glaçante et horrible, mais la force de Becky Chambers, c’est de parvenir à insuffler de l’espoir, de la douceur dans tout ce qu’elle raconte. Même avec le passé de Poivre, elle parvient à créer un équilibre où la volonté de vivre et de s’en sortir émerge d’une situation dramatique avec une puissance insoupçonnée et transcende l’horreur de la situation en créant un roman doux, où l’on souhaite se pelotonner pour voir le meilleur de l’humanité – ou des intells d’autres espèces – parvenir à surmonter le pire.
N.K. Jemisin, Les livres de la Terre Fracturée, tome 1 : La Cinquième Saison
Bon, eh bien avec La Terre fracturée, on part de nouveau sur un coup de coeur. Ce qui est assez rigolo c’est que mes derniers coups de coeur (celui-ci et les Becky Chambers), ils traînaient dans ma liste de livre à acheter depuis plus d’un an et que j’ai repoussé le moment de les lire, sachant qu’il s’agirait de lectures exigeantes, mais que dans les deux cas l’effet est le même « waw, pourquoi je ne les ai pas lus plus tôt ? ». Pour moi qui n’ai quasiment jamais de coups de coeur, c’est une première d’en avoir autant aussi vite.
La Cinquième Saison, c’est de la fantasy qui s’approche de la science-fantasy, et qui commence par une fin du monde. Qui mélange des lignes temporelles. Qui utilise, en apparence, plusieurs points de vue de narration, dont un au « vous ». Ne vous attendez pas à une lecture facile. On est sur de l’exigeant – à tel point qu’il est difficile d’espérer enchaîner les chapitres -, mais sur une écriture si riche et puissante en émotions qu’elle ne vous laissera pas un moment de répit. Sur de l’exigeant, oui, mais pas sur une écriture « condescendante » : ce n’est pas une démonstration de force de qualités littéraires, simplement une écriture qui demande que l’on s’implique et qui maîtrise parfaitement ses effets. Elle maîtrise également les émotions. Là où Becky Chambers nous fait nous sentir bien malgré la difficulté des sujets abordés, N.K. Jemisin aborde des sujets difficiles et nous fait ressentir l’état exact des personnages qui les vivent. Même si ça signifie en baver avec eux.
Et en commençant par une fin du monde et un enfant décédé, on sait déjà qu’il ne faut pas s’attendre à une lecture feel-good. D’ailleurs il faut quand même une bonne grosse cinquantaine de pages pour s’y habituer et y rentrer. Mais on est récompensés par un univers puissant, qui se laisse découvrir de part en part, d’époque en époque, avec ses règles, sa vie intransigeante, ses compromis avec la morale pour organiser la survie de ses habitants, ses paradoxes. Une très chaude recommandation, bien que moins accessible que du Chambers.
Marine Stengel, Systra, TOME 1
Systra est dans la veine de ces dystopies où la politique est avant tout un prétexte à l’action, plus qu’aux idées, même si elle s’inspire du principe de base de la surpopulation et de la limitation des naissances qui pourraient s’ensuivre. Jusqu’ici, pourquoi pas, c’est plausible, ça a même déjà été fait dans certains pays. Sur le principe, rien à redire. Le problème c’est qu’il y a plein de biais dans la solution dystopique présentée par le roman et qu’elle sort ainsi du domaine du plausible. En résumé : pour limiter les naissances, les fratries de 2 enfants seront séparées et condamnées à se battre à mort dès la majorité de l’aîné. Et… pourquoi ? Il y avait plein d’autres solutions tout aussi horribles et bien plus crédibles avant celle-ci (par exemple la stérilisation forcée une fois un premier enfant né, ou la mise à mort du second enfant à sa naissance…) Et là on rejoint ce que je disais : le système politique n’est ici qu’un prétexte pour raconter une histoire, celle d’un Battle Royale où des frères et soeurs élevés loin l’un de l’autre et entraînés à se haïr sont forcés de se battre à mort. Et pas simplement dans une arène avec un combat vite fait bien fait, non, ils sont envoyés dans un pays vide de toute population pour pouvoir s’écharper loin des regards (mais sous les caméras des dirigeants) sur plusieurs mois. On sent l’influence de Hunger Games mais là où ce dernier avait des prétextes extrêmement travaillés et plausibles (les Hunger games ayant été instaurés pour garder la population anciennement rebellée dans la peur tout en leur permettant un minuscule espoir de voir leur tribut gagner, il faut qu’il y ait du spectacle pour garder la population sous pression et maintenir l’intérêt, pour que ça n’ait pas l’air d’une simple exécution) ceux de Systra sont un peu fallacieux.
Ce qui n’empêche pas forcément que ce soit une bonne histoire, simplement la suspension d’incrédulité est plus difficile sur ce point. Mais en ce qui concerne Systra, passé ce cap, on arrive sur une lecture plutôt immersive grâce à l’action soutenue et aux enjeux forts, on arrive sans mal à comprendre les sentiments mitigés des deux sœurs, entre la haine qu’on leur a enseignée toute leur vie et la réalité des choses. Le côté survie de tous les instants a réussi à m’accrocher même s’il reste pas mal de zones d’ombres à la fin de ce premier tome. Il s’agit d’une duologie, je vais donc sans doute lire le second tome afin d’avoir des réponses aux questions restées en suspens.
Je ferais sans doute un article à ce sujet, mais je pense que les attentes élevées que je peux avoir (en tant qu’ancienne étudiante en littérature ayant travaillé sur ce sujet) sur un ouvrage annoncé comme une dystopie desservent les lectures que je peux faire dans les versions plus actuelles de ce genre, qui incluent une définition un peu dérivée vers l’action plutôt que vers la réflexion.
Alexiane de Lys, Thiziri TOME 2, La volonté de Vwaré
J’avais lu le tome 1 de Thiziri le mois dernier et cette lecture m’avait suffisamment plu pour que je veuille enchaîner avec le tome 2, la Volonté de Vwaré.
On y retrouve tout ce qui fonctionnait si bien selon moi dans le premier tome : la jungle vivante (et capable de prendre des décisions qui, parfois, sont un poil disproportionnées et un chouïa flippantes), le personnage de Thiziri, perdu entre deux mondes et prête à tout pour sauvegarder les deux et protéger tous ceux qu’elle aime malgré l’incompatibilité de certains points de vue, une écriture riche, qui met l’accent sur l’action aussi bien que sur les sentiments et s’autorise également un peu d’humour, renforçant ainsi la connexion entre les personnages. On y ressent aussi toute une montée en tension alors que les enjeux se précisent et s’affinent, que des camps se forment et que la survie devient une question fondamentale, pour tous.
Je ne suis donc vraiment pas déçue de ce voyage – j’en profite pour rajouter que je l’ai lu en livre audio et que j’adore la voix de la narratrice.