Ces derniers temps, les publications de dystopies des maisons d’édition ont eu tendance à me faire me poser de grosses questions sur l’évolution du genre. Jusqu’il y a quelques mois – et donc jusqu’à ce que je me mette aux réseaux sociaux, ma définition de la dystopie était une définition assez universitaire (je l’ai étudiée pendant ma licence de lettres modernes mais malheureusement je n’arrive plus à retrouver les cours en question, ce qui me chagrine beaucoup), mais j’ai l’impression que le genre a évolué jusqu’à presque se scinder en deux. Du coup j’avais envie de livrer mes réflexions à ce sujet, simplement des réflexions, je ne prétends pas détenir une quelconque vérité à ce sujet, parce que je trouve assez intéressant le tournant qu’a pris ce genre, même si certaines choses me laissent assez perplexe (mais je vais essayer de ne pas jouer à l’ancienne étudiante aigrie).
Une dystopie, c'est quoi ?
D’après le Larousse, la dystopie est : « Une société imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste, telle que la conçoit un auteur donné ». Elle s’oppose au genre de l’utopie qui décrit une société idéale. On peut retrouver des dystopies assez anciennes mais le nom en lui-même est très récent puisqu’il n’est attesté qu’au XXe siècle.
J’avais tenté il y a quelques temps, dans cet article, de définir les trois genres de l’Imaginaire. Donc, dans les genres de l’imaginaire, nous avons la Science-fiction, qui elle-même peut être scindée en plusieurs sous-genres, dont l’anticipation (qui regroupe une grande partie des oeuvres de science-fiction) ; c’est à dire une fiction imaginant un futur proche ou lointain. Et la dystopie est donc un sous-genre de l’anticipation. Elle propose donc une immersion dans un futur proche ou lointain, dans lequel une société totalitaire ou néfaste a pris le contrôle, et se base la plupart du temps sur une évolution vraisemblable d’une société, dans le but de nous mettre en garde contre nos propres dérives.
C’est donc un genre éminemment politique, puisqu’elle repose sur la conception qu’a l’auteur de ce qui serait un futur à craindre et que tous n’ont pas le même avis sur la question. C’est aussi un genre très marqué par le contexte et les peurs de son époque.
On considère que la première œuvre à proprement parler dystopique est Nous autres, d’Eugène Zamiatine, publiée en 1929, mais on a plus facilement intégré les classiques fondateurs du genre, tels que 1984 de Georges Orwell, très fortement inspiré par Nous autres, Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley ou encore Farenheit 451 de Ray Bradbury. Ces oeuvres sont toutes fortement marquées par les peurs de leur époque (la guerre froide, les exactions commises par les nazis durant la seconde guerre mondiale) mais elles ont aussi en commun un côté extrêmement réflexif, une pensée philosophique qui domine largement le roman au détriment de l’action. Et c’est sans doute là que les lecteurs de dystopies récentes vont battre des cils en pensant à Hunger Games et aux romans qu’il a inspirés, qui certes sont assez réflexifs, mais qu’on ne peut sans aucun doute pas accuser de manquer d’action. Eh oui, je vous avais parlé d’une sorte de scission de genre…
Une différence entre dystopie adulte et young-adult ?
Moi qui ai horreur de faire le distinguo entre les publics et de considérer le young-adult comme un genre, me voilà bien forcée d’admettre que la scission pourrait bien venir de là. D’un côté, les dystopies adultes, qui mettent l’accent sur la réflexion, dont les plus anciennes que j’ai déjà citées mais auxquelles, en plus modernes que j’ai lues récemment, l’on pourrait citer La Servante écarlate de Margaret Atwood, bien sûr (1985) – ainsi que sa suite Les Testaments (2019), Vox de Christina Dalcher (2018) ou, côté français, La Zone du dehors d’Alain Damasio (1999).
Et de l’autre, les dystopies young-adult, qui mettent l’accent sur l’action. Evidemment, Hunger Games en est l’exemple le plus connu, mélangeant dystopie et battle-royale mais avec une logique somme toute très bien faite, mais il y en a eu de nombreuses autres, et j’en ai, au final, lu assez peu (Community de Luna Joice, Systra de Marine Stengel et, un autre que j’avais lu adolescente et que j’avais totalement oublié : Uglies, qui d’ailleurs est sorti en 2007, soit un an avant Hunger Games). J’ai du mal à savoir quand et comment le genre a évolué vers des dystopies Young-adult, mais la distinction me paraît assez évidente, réflexion faite, et je crois que c’est ça qui crée une telle différence entre des romans très réflexifs, très lents côté adultes, et à l’inverse, côté jeunes adultes, des oeuvres marquées par beaucoup d’action, une réflexion sur la société peut-être un peu moins développée.
Et je fais un peu l’ancienne étudiante aigrie, mais en réalité j’aime beaucoup les deux types de dystopies, j’ai simplement l’impression que ce n’est pas le même genre et, une autre chose qui me pose question, c’est que la littérature dystopique young-adult est de plus en plus souvent présentée comme « LA » dystopie, parce qu’elle attire plus de lecteurs. Je comprends, bien entendu, la logique marketing qu’il y a derrière, puisque quand on édite des romans, il faut les vendre, mais j’ai l’impression qu’il y a une tendance au formatage de la littérature, dont l’accent mis sur les dystopies young-adult est assez représentatif, où, même si on a affaire à de véritables « page-turners » qui font la part belle à l’action, la part réflexive met beaucoup l’accent sur les mêmes points à ce qu’il me semble (encore une fois, j’ai lu relativement peu de dystopies young-adult et c’est surtout un ressenti que j’ai (un deuxième ressenti est que c’est souvent confondu avec le post-apo, sur lequel je pourrais faire un article à l’occasion) en comparant celles que j’ai lues avec les résumés d’autres.
Je trouve que le développement de ce genre vers une cible plus jeune et donc plus consciente et engagée est une bonne nouvelle, que cela peut contribuer à un renouvellement du genre qui pouvait parfois se retrouver englué dans ses longueurs côté adulte (je suis consciente qu’en tant que lectrice je suis loin de représenter la majorité vu qu’à priori je n’aime pas la romantasy et que je préfère les romans qui prennent leur temps à ceux qui vont tout le temps à 1000 à l’heure…), que cela peut aider à mettre sur le devant de la scène des idées et des problématiques qui n’auraient pas été découvertes par les lecteurs si elles s’étaient trouvées dans des romans plus réflexifs, puisque la dystopie est avant tout un genre politique, mais…
Mais il ne faut pas oublier que la dystopie est le véhicule littéraire d'idées politiques
Et c’est là où je dérive sur l’actualité qui m’a donné envie de parler de dystopies. Parce que tout le monde peut écrire une dystopie, quelle que soit leur orientation politique ou leurs idées et que, oui, il peut y avoir des dystopies véhiculant des idées nauséabondes. Cela reste le véhicule d’idées, quelles qu’elles soient.
L’actualité en question qui m’a fait réagir, c’est celle d’une maison d’édition qui devait publier un roman présenté comme une dystopie (une « romance dystopique », ou quelque chose du genre, d’ailleurs) qui a tellement fait réagir par les idées nocives qu’il véhiculait (des idées racistes et prônant la théorie du grand remplacement, pour dire les choses) que sa sortie a finalement été annulée. Je ne m’exprimerai pas aujourd’hui sur l’entièreté de ce débat, ce qui m’a poussée à écrire cet article était surtout la défense que cette maison d’édition a voulu apporter à ce livre en déclarant peu ou prou « c’est une dystopie, ce n’est pas politique ». Ce qui a fait bondir de nombreuses personnes, puisque, comme j’ai essayé de le démontrer en partie dans cet article, la dystopie est le genre d’anticipation le plus politisé de tous, mais les publications actuelles ont tendance à l’oublier au profit du grand spectacle et j’ai l’impression que cette réaction est révélatrice de cela.
Nous avons besoin d’œuvres qui nous font réfléchir sur notre société, particulièrement en ce moment, mais qui nous font réfléchir de façon éclairée, pas en se basant sur des idéologies complotistes totalement fausses et propageant la haine (bon, finalement il semblerait que j’aie donné un avis sur cette polémique). Nous avons besoin des dystopies pour nous montrer le pire afin de nous forcer à chercher d’autres voies et d’essayer de trouver le meilleur que l’humanité puisse offrir. Si le grand divertissement est un moyen de véhiculer des idées qui peuvent nous faire avancer, publiez 70 dystopies young-adult dans l’année.
Tout ce que je souhaite et que j’ai essayé de faire comprendre dans cet article, c’est que personne n’oublie que ce n’est qu’un véhicule à idées. Que l’important, dans la dystopie plus que dans tout autre genre, de l’Imaginaire ou de la littérature générale, c’est le message. Que ce message doit nous permettre d’avancer. Et qu’il est inconcevable de prétendre que la dystopie n’est pas politique.