Eh bien, ma dernière analyse d’un livre sur l’écriture datait un petit peu, il était temps de s’y remettre puisque la dernière datait d’octobre avec Comment écrire de la fiction, de Lionel Davoust et, cette fois-ci, j’ai choisi un sacré pavé, mais surtout un ouvrage de narratologie plébiscité encore et encore par les écrivains… Alors même qu’il s’adresse surtout aux scénaristes – même s’il inclue les écrivains dans son package.
On est ici, avec John Truby sur l’oeuvre d’un scénariste, professeur d’écriture de scénarios et consultant en écriture américain que je ne connaissais pour ma part absolument pas avant de m’intéresser à son Anatomie du scénario, mais est-ce vraiment étonnant puisque du côté des films le grand public s’intéresse surtout aux acteurs et réalisateurs. Pourtant, il a l’air de savoir de quoi il parle puisqu’il a été consultant sur près d’un millier de scénarios. Alors, c’est quoi, l’écriture à l’américaine et est-ce qu’on peut appliquer le paradigme qu’il propose pour l’écriture de scénarios à celle des romans ? Voyons cela.
Que s'attendre à trouver dans cette oeuvre ?
L’anatomie du scénario est une référence en narratologie. Comprenez qu’à la différences des tous premiers ouvrages sur l’écriture que j’ai analysés, qu’il s’agisse de celui de Murakami ou de Christelle Dabos ou même de celui de King, il n’y a ici absolument aucun passage bibliographique. On ne le lit pas pour se motiver en apprenant l’histoire d’autres écrivains, on le lit pour s’instruire, apprendre une méthode de planification rigoureuse et codifiée.
John Truby, qui critique fermement la structure en trois actes enseignée aux apprentis scénaristes, y développe ici sa propre méthode qui découpe les histoires en une progression en 22 étapes, ce qui pourrait donner envie de fuir très loin, mais qui semble permettre, selon lui, un développement organique de l’histoire et de ses personnages en permettant aux actes de chacun de résonner avec toutes leurs conséquences sur le reste du monde. Et pour montrer le fonctionnement de son découpage, il arrive avec de nombreux exemples tirés de films ayant eu leur retentissement à Hollywood, qu’il décortique et explique.
Il ne se contente d’ailleurs pas de ce plan en 22 étapes mais propose de nombreux autres outils pour développer au mieux ses personnages et ses univers en leur donnant toute leur force narrative.
Evidemment, comme d’habitude, je ne vais pas tout dire et tout analyser mais simplement vous proposer quelques points que j’ai envie de garder en tête après ma lecture. Et cette fois-ci, il va être extrêmement compliqué de faire des choix puisqu’il s’agit d’une méthode complète et que je l’ai trouvé particulièrement intéressante – oui, même pour un écrivain et non un scénariste – bien qu’elle puisse paraître un peu figée sous certains aspects.
Ce que j'ai envie de retirer de l'Anatomie du scénario pour ma pratique
Déjà, un constat à faire avant toute chose, c’est que le tout est dense et qu’il conviendra évidemment plus aux auteurs architectes qu’aux jardiniers. Pour ma part, comme je me situe un peu entre les deux et que mes méthodes s’adaptent facilement en fonction de mes projets, j’ai voulu tester la méthode dans son intégralité pendant ma préparation du premier jet que je suis actuellement en train d’écrire. Et ça a fonctionné, cela m’a permis de mieux cerner les enjeux de ce que je souhaitais écrire, de développer les thèmes et l’univers et de leur conférer une vraie consistance et une cohérence. D’où le fait qu’il soit d’autant plus difficile de choisir quoi garder dans la méthode de John Truby, parce que tout est utile, a minima pour réfléchir sur son texte et lui apporter plus de profondeur. Mais puisqu’il faut choisir…
1. Poser les bases pour savoir où l'on va
L’un des grands principes de L’Anatomie du scénario, c’est qu’elle nous propose de commencer par poser une prémisse, une phrase qui à elle seule résume toute l’intrigue de l’histoire et son essence même. Elle sera ensuite développée et approfondie grâce au principe directeur (ce qui va nous guider pendant toute la durée de l’écriture et qui est le développement original que l’on a décidé d’apporter à l’histoire, là encore, une seule phrase). Ceux qui ont déjà appliqué la méthode Flocon (dont je n’ai pas encore parlé, mais je le pourrai, pourquoi pas, parce qu’elle se recoupe sur certains points avec l’Anatomie du Scénario) ont déjà fait cet exercice de résumer l’histoire dont on veut parler en une phrase. John Truby donne l’exemple de Star Wars avec la prémisse « Alors qu’une princesse court un danger mortel, un jeune homme utilise ses talents de combattant pour la sauver et vaincre les forces maléfiques d’un empire galactique ».
« Ce que vous avez choisi d’écrire est bien plus important que toute décision que vous pourrez prendre sur la façon dont vous l’écrirez.«
John Truby, L’Anatomie du Scénario, p. 31
Il insiste énormément sur l’importance de cette étape qui doit servir de guide pour toute la suite de l’écriture en ajoutant que si la prémisse est mauvaise, rien ne pourra sauver le roman. Il s’agit donc de savoir où l’on va dès l’instant de la première pose d’une idée sur le papier, et je pense que c’est ça qui est important à retenir : souvent, on a tendance (en tout cas, j’ai tendance) à avoir une idée assez forte, mais que je ne prends pas la peine d’écrire en une phrase pour vérifier qu’elle tient la route ou jalonner le début et la fin du chemin. Elle reste à ce stade assez vague pendant toute la durée de mon écriture et lorsqu’il s’agit ensuite de résumer ce que j’ai écrit, je me retrouve coincée alors que cette étape de prémisse aurait pu rendre le tout absolument limpide.
En dehors de répondre au proverbial « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément », cela aide à garder la ligne de son histoire tout au long de son écriture mais cela peut aider également lorsqu’il s’agit de présenter le manuscrit à des maisons d’édition. Si l’on arrive à résumer ce qu’on a cherché à faire en une seule phrase, en plus de permettre une présentation extrêmement rapide et percutante de son manuscrit, par exemple dans un mail d’accompagnement, il est aisé d’imaginer qu’ensuite il sera d’autant plus facile de le développer en trois quatre phrases pour un pitch. C’est donc bénéfique à tous points de vue et je veux vraiment m’appliquer désormais à faire cet exercice sur chacun de mes futurs projets.
2. Développer chaque personnage en réponse à la problématique abordée
L’une des idées importantes apportées par John Truby consiste en sa proposition pour l’élaboration de la galaxie des personnages qui constitueront l’histoire. Au lieu de nous proposer un type de fiche personnage classique (qui peut avoir son intérêt à un autre stade de l’élaboration du projet mais qui a tendance à se focaliser sur des points de détail qui ne seront probablement pas abordés dans l’œuvre et qui doit être limite personnalisée pour chacun des personnages de chaque roman), il nous propose la création de personnages qui viennent répondre, chacun à leur manière, à la problématique du roman. Ce qui implique, justement, de trouver le problème moral qui sera au cœur de ce roman, le point sur lequel le personnage principal devra évoluer, la révélation morale vers laquelle tout converge.
Cela peut, peut-être, paraître réducteur d’utiliser les personnages simplement en réponse à ce problème moral, pour faire écho à celui du héros, et je pense que dans un sens ça l’est si on se limite à cela, mais cela permet aussi de s’assurer qu’ils aient tous leur place dans l’histoire et qu’ils aient tous leur profondeur. John Truby propose d’élaborer une fiche pour chaque personnage en fonction de : ses faiblesses, ses besoins, son désir, ses valeurs, ses pouvoirs, statuts et compétences et la façon dont chacun d’entre eux va faire face à ce problème moral central, qui sera différente de celle du personnage principal et permettra d’éviter une histoire trop didactique et morale, mais d’offrir différents points de vue, différentes variations sur un même thème. Et surtout, cela permet de les placer en réaction face aux choix du héros, par rapport à leur propre prisme de valeurs et à leur façon de voir la problématique.
« Pour individualiser vos personnages, commencez par trouver le problème moral qui est au cœur de la prémisse. Puis déployez les diverses possibilités du problème moral dans le cours de l’histoire.«
John Truby, L’Anatomie du Scénario, p. 118
Je pense que cela permet, au lieu de se concentrer sur des caractéristiques physiques ou des éléments anodins du caractère des personnages (à quoi cela sert-il pour mon histoire de savoir que Patrick aime manger des asperges ? Cela peut, éventuellement, renforcer une part de son caractère mais cela ne me dit pas si ce personnage est suffisamment important pour être gardé à la réécriture) de s’intéresser à leur moi profond, à ce qui les anime et à la façon dont ils vont aider ou s’opposer au héros (peut-être que ça ne sert à rien que Patrick mange des asperges, par contre, ça me sert de savoir qu’il n’a jamais menti de sa vie et qu’il va s’opposer violemment à son meilleur ami, mon héros Jean-Pire, qui a sorti le plus gros bobard de sa vie à son patron sous ses yeux).
3. La symbolique
Oui, bon, c’était ça ou les fameuses 22 étapes, qu’il était difficile d’expliquer sans les citer une par une, ce qui aurait rendu mon article beaucoup trop long. Et il se trouve que l’Anatomie du Scénario fait la part belle à la symbolique de l’univers du récit, ce qui, pour une autrice de fantasy, fournit matière à une réflexion sans fin. Là encore, il nous propose d’exprimer en une seule phrase la symbolique du récit, qui permettra par la suite de développer l’univers en un tout organique et cohérent en veillant à ce qu’il permette d’exprimer toute l’ambiance en servant l’intrigue.
« Dans les bonnes histoires, ce sont les personnages qui viennent en premier, avant que l’auteur ne conçoive le monde comme une manifestation infiniment détaillée de ces êtres fictifs.«
John Truby, L’Anatomie du Scénario, p. 214
C’est quelque chose que je faisais déjà, en partie, de façon inconsciente, notamment dans mon projet Issues des Ombres (en soumission) dont tout l’univers est développé de façon à ce que l’intrigue s’appuie dessus et de façon à exacerber chacune des faiblesses de mes deux personnages principales. Mais la part symbolique, étant moins conscientisée, est moins présente, alors que John Truby ne laisse aucun élément au hasard, qu’il s’agisse des lieux choisis, de la météo ou des fêtes. Il offre une analyse assez poussée de certains éléments utilisés pour symboliser certaines étapes clés du développement des personnages et de l’intrigue, tout en précisant que l’on peut également aller à contre-courant. Tout n’est pas à prendre au pied de la lettre, dans ses propositions, mais je pense que j’aimerais bien garder en tête l’importance de la symbolique et tenter de la mettre en application dans mes projets.
Concrètement, je pense que, comme beaucoup d’auteurs à mon avis, l’Anatomie du Scénario va traîner un moment à mes côtés pendant mes séances d’écriture et que je vais garder dans ma tête de nombreux éléments de sa méthode. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de tout appliquer à chaque fois, que, comme dans toute chose, un peu d’esprit critique est bon à prendre et qu’il faut avant tout voir l’écriture comme un processus à développer de façon personnelle, mais c’est justement le but de ces analyses : voir quoi piocher dans chaque ouvrage, ce qu’on a envie de garder ou non, pour quel projet, comment le modifier pour qu’il nous convienne, et ainsi de suite. Je ne vois pas ces lectures comme un processus d’enfermement ou une façon de trouver LA méthode, mais comme une façon de développer mes compétences et ma pratique pour qu’elle me soit la plus simple possible, tout en approfondissant davantage tout ce qui peut me servir à créer de meilleurs romans, dans une amélioration constante.