Je poursuis mes lectures de livres sur l’écriture en prenant cette fois le contrepied radical de ma lecture de la dernière fois, qui n’était que narratologie pure (rappelez-vous, c’était L’Anatomie du Scénario). Cette fois-ci, rien de narratologique, aucune méthode d’écriture dans le livre que j’ai lu, mais une façon d’aborder l’écriture et la créativité de manière générale.

Et je ne pensais pas dire ça dans cette série d’articles d’analyse parce que ce n’était absolument pas le but ni le sujet, mais c’est un coup de cœur.

Que trouve-t-on dans Comme par magie ?

Comme par magie, Elizabeth Gilbert, aux éditions Livre de poche

Comme je le disais, ici, pas de conseils spécifiques sur la façon de faire un plan ou d’organiser sa réécriture, mais un point de vue bien plus global, augmenté de nombreuses anecdotes personnelles de l’autrice ou venant de ses amis, sur la façon de gérer sa créativité. En ce sens, le sous-titre « Vivre sa créativité sans la craindre » est pleinement annonciateur du contenu du roman. 

Elizabeth Gilbert le développe en 6 grandes parties – Courage, Enchantement, Force, Permission, Persistance, Confiance et Divinité – 6 « forces » à comprendre et maîtriser pour vivre pleinement sa créativité au quotidien et surtout créer avec elle une relation plus sereine, non pas dépourvue de peur mais moins conflictuelle, déconstruisant par la même occasion le mythe de l’artiste torturé, nous invitant à considérer l’inspiration comme une entité à part entière qui nous visite lorsque nous y sommes réceptifs et nous quitte si nous ne prêtons pas suffisamment attention à elle. Il y a beaucoup de pensée magique, dans ce livre, et pourtant au-delà de ça, ce qu’elle dit et propose est plein de sens.

Je n’avais jamais lu auparavant de romans écrits de la main d’Elizabeth Gilbert, que je n’ai d’ailleurs pas présentée : c’est l’autrice de nombreux livres de littérature blanche et également du best-seller Mange, prie, aime, comme l’indique si gentiment la petite cocarde sur la couverture du roman (*j’ai horreur de ces cocardes, elles me font regretter l’époque des bandeaux qu’on pouvait au moins enlever. Les ME, s’il vous plait, arrêtez de faire ça, vous gâchez vos propres livres*). Et si c’est un coup de coeur alors même que je ne connaissais pas l’autrice et que ce n’est pas un roman de fiction, c’est parce qu’il résonne avec une réflexion que j’avais entamée avant la lecture de cet ouvrage, l’idée principale étant de prendre plus de plaisir dans l’écriture en me détachant de l’attente de résultats, d’écrire sans penser à la suite, à la partie soumissions en maisons d’édition, pour que mon rapport à mes propres textes ne soit pas entaché par mes rêves et mes attentes et que je cesse d’en exiger trop, d’eux comme de moi même. Et c’est exactement cette idée-là, l’idée principale véhiculée par Comme par magie

Comme d’habitude, j’ai extrait trois points que j’ai envie d’intégrer dans ma propre pratique, et comme d’habitude, encore plus cette fois-là, ce n’est pas parce que je me concentre sur trois points qu’ils représentent la totalité de l’intérêt du livre (d’ailleurs celui-là ne va pas quitter ma table de chevet pendant un bout de temps, vu tout ce qu’il y a à en tirer). Je pourrais vraiment ouvrir le livre au hasard et trouver un point intéressant à détailler (c’est un peu ce que j’ai fait, d’ailleurs). Je vous recommande vraiment sa lecture, particulièrement si l’écriture a tendance à être difficile pour vous, si vous sortez d’une phase de soumissions difficile ou si vous craignez les blocages (mais je le recommande à tout le monde, et pas uniquement aux auteurs, à tous les artistes, quel que soit leur art).

Ce que j'ai envie de retirer de comme par magie pour ma pratique

1. Arrêter de mettre la peur aux commandes

… Et c’est aussi quelque chose que j’ai besoin d’appliquer dans ma vie. Elizabeth Gilbert nous parle de la peur qu’elle ressentait enfant, une peur si énorme qu’elle l’empêchait de faire une quantité astronomique de choses. Elle se définissait par elle, jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive que sa peur ne faisait pas d’elle quelqu’un d’unique parce que tout le monde a peur, tout le temps, et que la peur nous contraint à refaire toujours les mêmes choses parce que dès qu’on veut en changer, le refrain « ARRÊTE » nous coupe en plein élan. Et les artistes le savent tous : la peur fait partie intégrante de la création. 

Dans un monologue aussi délirant qu’inspirant, Elizabeth Gilbert s’adresse alors à sa peur pour nous rappeler l’essentiel : 

« …. mais n’oublie pas ceci : Créativité et moi serons les seules à prendre les décisions en route […] Ma cocotte, tu n’as même pas le droit de tripoter l’autoradio. Mais par-dessus tout, ma vieille et familière amie, il t’est formellement interdit de prendre le volant. »

Elizabeth Gilbert, Comme par magie, p. 34

J’ai aussi tendance à m’angoisser facilement, dans la vie en général, mais aussi dans mon parcours d’autrice, à mon grand désespoir. Et l’idée, au lieu de la combattre autant que possible, d’accueillir sa peur, de l’inviter à voyager avec nous tout en lui rappelant qu’elle ne sera jamais, jamais écoutée, est la première grande révélation que j’ai trouvée dans cet ouvrage, de se rappeler aussi que plus on voyagera longtemps et loin avec elle, plus il sera facile de l’ignorer et de rester installés confortablement. Il y a des milliers de raisons d’avoir peur, quand on écrit, qu’il s’agisse de celle de ne pas réaliser un roman aussi bon qu’on le souhaiterait, de ne voir notre manuscrit accepté nulle part, de ne pas trouver de lecteurs, la peur des critiques ou d’avoir mal traité notre sujet.. Des milliers de raisons d’avoir peur qui, si on les écoute, donnent naissance à des dizaines de débuts de romans inachevés et rangés dans des tiroirs pour y prendre la poussière. Ce qui serait quand même dommage. Cela fait donc aussi des milliers de raisons d’arrêter d’écouter nos peurs.

2. Être roublard plutôt que martyr

Elizabeth Gilbert présente deux manières fondamentalement différentes de voir et d’aborder le monde : celle du martyr et celle du roublard. Pour résumer cette idée, là où le martyr vit sa vie comme un chemin de croix, en se plaignant de ne pas avoir ce qu’il mérite, le roublard s’en amusera et continuera de s’amuser dans son coin sans se préoccuper de rentrer dans les cases, il verra la vie et la créativité avec insouciance, conscient qu’elles ne sont pas faites pour être justes et que tout ce qu’on peut faire, c’est s’intéresser à ce que l’on peut faire du temps qui nous est imparti.

« Mais, plus que tout, le roublard a confiance dans l’Univers. Il a foi dans son comportement chaotique, anarchique et toujours fascinant – et c’est pour cela qu’il ne souffre pas d’une angoisse injustifiée. Il est convaincu que l’Univers est constamment en train de jouer, et particulièrement, qu’il veut jouer avec lui.

Elizabeth Gilbert, Comme par magie, p. 226-227

C’est là, presque plus que dans le premier point que j’ai souligné, qu’on se rend compte à quel point les conseils de créativité et d’écriture d’Elizabeth Gilbert sont aussi des conseils de vie. Et en même temps, en tant qu’auteurs ou artistes, on a tendance à vivre pour l’écriture et notre façon de vivre influence à son tour notre manière d’appréhender l’écriture. Cela aide peut-être aussi à dompter sa peur que de se souvenir à quel point tout peut être jeu.

Et c’est à ce moment-là aussi que Comme par magie rejoint une réflexion que j’essaie de mener petit à petit sur mon écriture – et donc sur ma vie en général – en arrêtant de la prendre trop au sérieux. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas importante pour moi ou que je ne veux plus aborder des thèmes importants dans mes écrits, bien au contraire. Elle est trop importante pour ne pas être prise comme un jeu, avec sourire et bonne humeur… tout comme la vie. Il y a des choses graves, et il ne s’agit pas forcément de les minimiser, mais pas non plus de se laisser détruire par elles et, au contraire, d’aborder ce qui n’est pas grave tout comme ce qui l’est un peu plus, comme un roublard. Bref, je ne sais pas si je suis très claire, c’est une réflexion assez personnelle et que je n’ai pas encore fini de mener à son terme, mais voilà en quoi ce livre a résonné avec mes propres préoccupations. 

3. Manger sa "tartine de merde" et accepter d'y mettre tout son coeur

Derrière cette expression peu ragoûtante (expression tirée mot pour mot du livre, qui l’a lui-même emprunté au blog d’un ami d’Elizabeth Gilbert) se cache l’idée que si on aime l’écriture de tout son coeur, on est prêt à accepter toutes les déceptions qui vont avec, le fait de ne pas obtenir tout de suite les résultats que l’on désire, d’être critiqué, d’échouer encore et encore. Sans quoi, cela nous poussera inévitablement à l’abandon. 

Vous demanderez peut-être « Pourquoi devrais-je me donner le mal de créer quelque chose si le résultat risque d’être rien ? »
La réponse viendra généralement avec un sourire narquois de roublard : « Parce que c’est
amusant, non ? »

Elizabeth Gilbert, Comme par magie, p.260

Cela rejoint aussi, bien sûr, les premiers points, et de nombreux autres que je n’ai pas relevés mais qui l’auraient mérité aussi (le « mieux vaut fait que parfait » par exemple, qui vaut aussi dans les arts, Elizabeth Gilbert défendant l’idée que le perfectionnisme est l’un de nos pires ennemis, en art). On ne contrôle pas, jamais, les résultats en écriture ou en art en général : tellement de facteurs indépendants de nous vont faire qu’une oeuvre va être publiée ou non, qu’elle va trouver son public ou non, qu’elle sera appréciée ou non, comprise ou non, qu’il est illusoire d’espérer les contrôler, et encore plus de baser tous nos espoirs dessus. La seule chose qu’on peut faire est de créer avec acharnement, de notre mieux, en sachant que la réussite ne sera peut-être pas au bout. Mais si on crée simplement dans l’espoir d’un résultat, il est possible que ça finisse par nous dégoûter lorsqu’il ne viendra pas, ou pas de la manière dont nous l’entendions. Alors autant mettre tout son coeur dans la création en acceptant que ça, il est possible que ce soit agréable (sinon, à quoi bon.)

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.