Cette nouvelle est bien plus personnelle, et aussi bien plus courte, que les autres, un peu trop courte pour que j’aie grand chose à en dire, j’espère en tout cas qu’elle saura vous toucher.
Il est là, depuis des siècles, semble-t-il. Debout dans son pré, il observe. Il voit tout. Le monde défile autour de lui, si vite, si vite, mais pas lui. Il est toujours là, à sa place, planté-là, comme s’il n’avait rien de mieux à faire ! Elégant, droit, fier, il suit l’air du temps : il s’habille différemment selon les jours et les saisons et, s’il lui arrive de déprimer, il ne quitte pas son poste pour autant. Souvent, une jeune fille vient le voir, toujours la même. Apeurée, blessée, attristée, elle vient se réfugier dans ses bras et lui parle pendant des heures. Il écoute, attentif… il ne répond jamais. Ou parfois, un murmure tendre de sa voix chantante. Apaisée, elle s’en va, mais lui reste, la regardant s’éloigner. Elle revient toujours. Parfois, elle amène un livre et, blottie contre lui, elle lui fait la lecture pendant des heures. Elle l’interroge sur la vie, le monde, se demande « comment c’était, avant ? » et « comment ce sera, plus tard ? » : c’est elle qui trouve les réponses. Il acquiesce, dans un murmure tendre de sa voix chantante.
Le temps passe et elle vient de moins en moins. Elle grandit. Elle peut mettre des mois avant de revenir, mais elle revient. Toujours. Ils ont un lien secret, après tout ! Alors elle revient toujours, heureuse de le retrouver à son poste, prêt à l’accueillir sans la juger. Elle change, si vite, si vite, mais pas lui. Lui reste égal à lui-même, gardien silencieux de ses terres, patient, sans jamais quitter son poste.
Pourtant un jour, lorsqu’elle revient, elle le retrouve fauché, à terre, mort dans son pré, mort comme il avait vécu, en silence et dans l’indifférence. Personne n’a pleuré pour lui et son enterrement n’aura jamais lieu. Elle pleure, pourtant, et dans un sanglot lui murmure « Je n’aurais jamais pensé vivre suffisamment longtemps pour voir un jour mourir mon arbre. »